cohabitation difficile
Chaque jour, le patron se regarde dans le miroir, observe bien son œil malade, ferme l’œil gauche pour vérifier s’il voit toujours un tout petit peu avec l’œil droit. L’image qu’il entrevoit est extrêmement floue. Il essaye de fixer quelque chose dans la chambre pour vérifier s’il la voit toujours avec son œil malade. Est-ce la même semi clarté de la veille ? La partie obscure du champ de vision n’a-t-elle pas augmenté un peu plus ? Mille questions que le patron se pose chaque jour, plusieurs fois par jour, un nœud à l’estomac face à des réponses auxquelles il craint répondre. Déjà un mois et demi est passé depuis sa dernière visite chez l’ophtalmo. Il continue à mettre régulièrement ses goutes, à en acheter dès qu’il remarque qu’il n’en reste presque plus, à vérifier avant son départ de chez lui qu’il a bien pensé à mettre ses deux médicaments dans son petit sac qu’il trimbale avec lui en longueur de journée. Cohabiter avec cet œil malade est devenu l’obsession du patron. Dernièrement, il s’était laissé à la dérive, mangeant tout ce qui pouvait le faire grossir. Depuis des mois, il promet à ses amis de commencer un régime. Depuis des mois, il continue à reporter sa décision. Pourquoi se laisse-t-il aller à ce point ? Il ne le sait pas. Peut être, n’a-t-il pas encore appris à accepter totalement son problème d’œil et se venge-t-il de ce corps qui l’a déjà fait beaucoup souffrir ? Comment réussir à s’en moquer vraiment et à se dire que ce qui en reste de bon mérite un peu plus d’attention ? Demain, nouvelle visite chez l’ophtalmo, nouvelle angoisse qui traine depuis des jours, nouvelle nuit blanche remplie d’idées noires. C’est entre ces deux couleurs là, le blanc et le noir, que le moral du patron se promène depuis déjà un an et quelques mois.