Visite

Publié le par nagui chehata


Que devient-on après la mort ? C’est à cette question que le patron de la pension de la joie, actuellement en recherche à un sens pour la vie, a voulu répondre. De passage à Alexandrie, il a voulu, avant de terminer son séjour, aller rendre visite au célébrissime Youssef Chahin. On lui avait dit que le grand cinéaste était enterré dans le cimetière Grec catholique dans sa ville natale. Arrivé sur une avenu bordée d’un coté de cimetière pour toutes les églises existantes en Egypte, le patron a dû faire une longue marche, demandant de porte en porte, aux gardiens, où se trouvait le cimetière grec catholique. Tous ces chrétiens que les autorités ecclésiastiques ont séparé durant leur vie, se retrouvent enfin tous unis, dans un même quartier, comme s’ils voulaient envoyer au monde des vivants que finalement au paradis, ces différences de rites disparaissaient. Belle leçon de moral.

Enfin le cimetière retrouvé, le patron s’est trouvé devant un portail cadenassé. On lui dit alors qu’il fallait tirer la corde pour faire tinter une cloche. Cloche qui semblait avoir du vécu. Après deux coups sur la corde, le patron a vu apparaitre un chien au bout d’un long passage suivi d’un jeune homme qui semblait se réveiller d’un sommeil de mort, suivi encore par deux chiens. Les morts se font bien garder ici parait-il ! Le jeune homme, sans un mot, les yeux encore rouge de sommeil, vient ouvrir la grille.

-         C’est pour Youssef Chahin, il est bien ici ?

Singe approbateur de la tête. Le jeune homme avance, suivi du patron et des trois chiens. A droite et à gauche de tombes avec des inscriptions souvent en français ! Des superbes statues en marbre bordent l’allée centrale du cimetière. D’autres tombes totalement en ruine. Peu, heureusement ! Le patron allait enfin se trouver nez à nez avec ce grand homme tant vénéré par le monde entier. Toute sa vie, il avait espéré le rencontrer, lui parler. Il s’est rappelé de cette fois où il attendait quelqu’un à l’aéroport et qu’il l’a vu arriver. Leurs regards s’etaient croisés. Il aurait souhaité lui parler, mais les mots s’étaient bloqués au fond de sa gorge pour ne laisser qu’un sourire discret. Maintenant, enfin, il allait pouvoir lui dire ce qu’il voulait. Oui, le patron croit vraiment qu’après la mort, on reste lié étroitement avec ceux qui sont partis. Un autre lien se crée alors et prend une dimension quasi divine. Cela allait il se reproduire avec ce grand homme ? Déjà, il devait retrouver sa tombe. Le jeune homme continue à avancer. Puis s’arrête. Pointe du doigt un mur. Une trentaine de carreaux remplissent le mur. Des inscriptions sur quelques uns. Pour Youssef Chahin, juste un morceau de ciment, sans inscription. Juste un numéro. Le numéro 27. On n’a pas encore eu le temps de faire la stèle funéraire. Même pas de nom ! Déception ! Incompréhension ! Indignation ! Le patron se devra se contenter de faire une petite prière au numéro 27.  Même pas un vase pour y mettre le bouquet de fleur qu’il lui avait acheté. Le jeune homme ira chercher une bouteille d’eau improvisée en vase et y déposera les fleurs au pied du mur. Le patron essayera de coller à l’aide d’un petit fil deux roses sur la plaque en ciment numéro 27. Encore un petit moment de dialogue avec JO. Le jeune homme lui explique que la faculté d’art plastique est entrain de préparer le plan pour sa tombe. Le patron lui demande alors s’il peut voir l’emplacement de la « futur tombe ».  C’est près de la porte principale. Le patron reviendra un jour c’est sûr pour revoir JO dans sa nouvelle demeure de luxe.  Il remercie le jeune homme, lui glisse un billet à la main et se dirige vers la porte toujours suivi des trois chiens silencieux. Un dernier regard au cimetière comme pour dire à tous ceux qui y reposaient de bien profiter de la présence de ce grand homme avec eux.

Il retraverse la rue. S’arrête encore pour jeter un dernier regard sur le cimetière, espérant que les fleurs tiendront bonne compagnie à JO, puis se jette dans un taxi pour se perdre dans la foule.

 

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N
Le quartier s'appelle 'el shallalat" c'est juste sur la rue qui conduit vers la route du caire mais avant le tunel en venant de la corniche. c pas loin non plus du collège saint marc.
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B
Merci Nagui pour ce récit. Où est-il, ce cimetière? Si je vais passer un dernier we à Alexandrie avant mon retour en Suisse, j'irai voir si les étudiants en Arts plastiques ont progressé... <br /> Ta visite me rappelle celle que j'avais faite au cimetière de Verdelais, en Gironde, 0ù est enterré Toulouse Lautrec. Un panneau indiquait : "tombe de Toulouse Lautrec : au fond de l'allée centrale à gauche"...
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P
Touchant, et tellement personnel !<br /> Merci :)
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Z
Un "loculi" comme autrefois ou une tombe artistiquement élaborée, ceux qui l'on aimé vivant ne l'en aimeront pas moins là où il sera. Merci pour ces belless photos; on peut ainsi l'imaginer "in situ" ....<br /> Claire
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L
Belle visite guidée.<br /> <br /> Peut-être que séjourner auprès des plus humbles est ce qu'il a voulu.
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