Le fantôme

Autre visite pour un autre grand homme. Depuis longtemps, le patron avait envie de visiter le musée de Costentin Cavafy. Il avait eu l’occasion de lire des extraits de ses poèmes, poèmes qui l’avait alors beaucoup touché. Mais, comme il avait envie de mieux connaitre l’homme, le patron a demandé à un ami alexandrin s’il connaissait la maison de Cavafy transformée en musée. C’est derrière le théâtre de Sayed Darwish. Le taxi les dépose alors devant le théâtre et après une centaine de mètres, dans une ruelle calme, le patron tombe enfin sur un immeuble superbement entretenu. Immeuble du début du vingtième siècle puisque l’écrivain y a séjourné durant ses dernières 25 années. Mort en 1933, avec un petit calcul, l’immeuble a été donc construit au tout début du siècle. Plusieurs plaques indiquent à l’entrée de l’immeuble que le musée est situé au deuxième étage. Une propreté de l’escalier comme rarement vu en Egypte. Restauration ? Pas sûr ! Voisins inexistants. Des portes fermées surmontées d’une grille en fer forgé.
Finalement le patron tombe sur une porte entrouverte. A coté, encore une plaque indiquant aux touristes égarés que c’est bien là que se trouve l’appartement-musée. Un monsieur vient ouvrir. Il est tout seul dans l’appartement. Arrière petit-fils ? Non ! Juste l’employé responsable qui a l’air de mourir d’ennuie. Discret, il laisse le patron errer dans l’appartement pour passer quelques moments tranquilles et découvrir ce grand homme. Des pièces transformées en étalages intelligents de livres écrits en grec ou en français. Des lettres sous vitre, des portraits, beaucoup de portraits.
On peut voir l’écrivain enfants, ado, jeune homme, mûr, et vieux. Le calme et la tranquillité qui règnent dans l’appartement est frappant. Ils soulignent encore plus fortement la disparition du propriétaire qui y a séjourné.
Sa chambre est nickel avec un lit, est ce bien le sien ? Il semble en trop bon état. Un nouveau tapis gît sur un sol en bois trop propre. Les peintures sont propres sans traces d’humidité caractéristique de la plus part d’appartements alexandrins. Ce calme a été malheureusement interrompu par l’arrivée d’un groupe d’une trentaine de grecs qui venaient découvrir l’appartement. Le fantôme que le patron cherchait désespérément dans l’appartement, après avoir pointé le nez, a pris la fuite face à ses descendants chahuteurs
qui s’asseyaient sur son bureau pour se faire prendre en photos, qui se permettaient de s’asseoir sur les chaises, le lit, sous le regard m’enfoutiste de leur guide égyptien. Pauvre fantôme ! Lui qui, de son vivant, était un grand timide !
Pour échapper à ces envahisseurs, le patron sort sur le petit balcon. C’est cette rue que l’écrivain voyait de chez lui. C’est là peut être qu’il prenait son inspiration pour écrire ses merveilleux poèmes mélancoliques. Les voix grecques diminuent, puis disparaissent. Le patron retourne dans le salon pour le trouver finalement vide. Les envahisseurs sont partis.
Seul, l’employé est là, assis sur une chaise à coté de la petite bibliothèque où des livres, œuvres de l’écrivain, sont en vente. Le patron achète enfin un livre, puis une deuxième exemplaire pour l’ami qui l’accompagnait, remercie l’employé et s’en va. Il le sait, le fantôme ne reviendra plus maintenant. Peut-être attendra-t-il l’arrivée de la nuit pour réapparaitre et donner quelques coups de ballais à son ex appartement pour les prochains visiteurs ? Le patron lui, se dirigera, à la pâtisserie Délice, non loin de l’appartement pour plonger dans les poèmes de Cavafy, face à une bière bien fraiche.
Je ne les ai pas retrouvés, eux que j’avais si vite oubliés. Les yeux pleins de charme, le blême visage - dans la rue assombrie.
Je ne les ai pas retrouvés, eux que j'avais obtenus tout à fait par hasard, que j'ai si facilement abandonnés, mais qu'ensuite j'ai désirés avec angoisse. Ces yeux pleins de charme, ce blême visage, ces lèvres, je ne les ai pas retrouvés...
(extrait du livre de Cavafy)