Heureux hasard

De temps en temps, La Vie envoie de petits cadeaux, aux moments les plus inattendus. Le patron, tout au long de sa courte expérience, en a eu régulièrement la preuve. C’est lorsqu’il se sentait au plus bas, délaissé de tout le monde, délaissé surtout de l’assistance divine qui lui joue à cachecache derrière les nuages quotidiens, qu’une bonne surprise vient lui gratter la tête et lui fait redresser l’échine. Chaque fois, il s’arrête, prend une bouffé d’air et se dit que la vie vaut d’être vécue malgré tout. Mardi, le patron s’était mis d’accord avec Saad, le chauffeur de taxi qui le trimbalait un peu partout dans les rues cairotes, de lui vendre sa voiture puisque le patron sentait qu’il ne pourrait plus reconduire à cause de son œil malade. Saad lui-même avait dû vendre son taxi qui lui était très cher après l’application du nouveau code de la route désormais en vigueur depuis le début du mois d’aout. D’après Saad, les agents de police se prenaient très souvent aux chauffeurs de taxi et le travail ainsi n’en valait plus la peine. Il avait longuement pensé et a été obligé de vendre son taxi après 25 ans de vie commune avec ce rare taxi bizarrement bien entretenu par son vieux chauffeur. A 60 ans, Saad n’avait plus envie de se faire maltraité par un jeune agent à la recherche d’une fortune douteuse. Comme le patron pensait vendre lui aussi sa bagnole garée en plein soleil depuis le mois de février devant la maison de ses parents, il s’est dit que la meilleure idée était de vendre à Saad sa bagnole. Ainsi, le patron se sentirait moins triste de vendre sa bagnole puisque Saad pourrait l’utiliser pour accompagner le patron là où il voudrait. Bref ! Le problème était surtout de changer la batterie morte de la bagnole. Le mardi matin donc, Saad passe chez le patron. Tous les deux sautent dans le premier taxi – Saad ayant vendu son taxi – et se dirigent vers la maison familiale du patron. Saad enlève la batterie morte, retaxi pour aller acheter une nouvelle batterie. Puis reretaxi pour la mettre dans la bagnole du patron. Le patron lui, se met au volant pour faire démarrer le moteur. Ça tourne ! Ressuscitée ! Saad se place à coté du patron et lui demande de se diriger vers l’agence pour évaluer la bagnole et ainsi terminer la vente. Le patron se lance donc, prudemment d’abord, puis découvre à sa plus grande surprise, qu’il arrivait à conduire correctement malgré son œil malade. Belle surprise ! Ils se dirigent donc vers l’agence à quelques kilomètres au nord du Caire. En chemin, le patron commence à se poser des questions : Pourquoi allait-il vendre sa bagnole qui lui est très chère puisqu’il arrivait à conduire. Il s’arrête. Regarde Saad, hésite encore et lui dit : « Saad, j’arrive à conduire, tu remarques ? » Saad le regarde et commence à comprendre. « Saad, ne m’en veux pas, j’ai décidé de ne plus vendre la voiture. J’avais trop peur, je pensais que je serais incapable de reconduire, or tu vois bien que ça va. » Saad le regarde, lui sourit, et lui lance : « Bon, Yala, fais demi tour, on rentre à la maison. Ce n’est pas grave, je suis content pour toi. » Le patron retourne à la maison, tout heureux d’avoir constaté que tout au fond de lui, il avait compris qu’il pourrait reconduire. Certes, de préférence le matin, mais reconduire quand même. Toutes les souffrances des quatre opérations s’estompent soudain comme évaporées sous la chaleur des rues cairotes.