silence de mort
Silence de mort ! Plus rien n’existe ! Même les mots n’existent plus, comme bloqués au plus profond d’un gouffre. Face à ces images que les télés diffusent nuit et jour, face à la rage que le patron ressent à chaque nouvelle, il n’y a que la colère et l’envie de tuer qui poussent doucement en lui comme une mauvaise herbe qu’on a du mal à arracher. Colère et haine contre lesquelles le patron a toujours lutté. Ces valeurs destructives qu’il a détestées chez les autres, les voilà qui s’emparent de lui sans qu’il n’ait la moindre possibilité de changer les données. Il y a aussi, à son quotidien, les larmes terribles de Hatem, son majordome qui, lui est de là-bas, là où les morts ne se comptent plus. Ses deux sœurs et leur famille, ses oncles, ses tantes. Voir cet homme pleurer, regarder ses yeux angoissés jour et nuit guettant la moindre bonne nouvelle à la télé, sursauter avec lui au moindre téléphone pour savoir si ceux de l’autre coté sont toujours vivants, tout cela n’aide absolument pas le patron à garder intactes les valeurs de l’amour, de dialogue et de fraternité qu’il a défendues tout au long de sa vie. Et c’est surtout ça qui plonge le patron dans ce silence de mort. Il ne veut pas parler de sa petite vie actuellement qui lui semble peu significative avec ses fêtes, ses sorties, ses soirées, ses amis, ses douleurs et ses joies. Tout cela semble perdre sa valeur. Il ne veut pas non plus se lancer à dire et à écrire des mots nourris de haine. Il veut juste se taire, et laisser libre court à ses larmes, peut-être laveront-elles un peu de cette tristesse qui se creuse sur ses joues. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, il vit en même temps une rupture amoureuse, définitive cette fois, avec la personne qu’il a aimée le plus. Mais, cette douleur personnelle semble infiniment mesquine face à tout ce qui se passe à quelques centaines de kilomètres de la pension de la joie. Il essaye de fuir tout cela, il sort tous les soirs, rencontre des amis, essaye de s’amuser, mais, une amertume enveloppe tous les lieux qu’il fréquente comme cette nuage de fumée noire qui empoisonne le Caire pendant les mois d’automne. Il rentre à la pension le soir, allume sa télé pour voir qu’entre temps, une vingtaine d’enfants sont mortes et il replonge dans le silence.