Renouveler son permis (suite)

Publié le par nagui chehata

Départ à huit heures trente de la pension : Le patron a envie d’aller le plus tôt possible au poste de police pour renouveler son permis avant que la foule ne se forme. En ce dimanche matin, le quartier de Midan el Game3 (place de la mosquée), ce quartier commercial à Héliopolis, les rues sont presque désertes. Beaucoup de magasins en Egypte ferment le dimanche et le patron trouve facilement une place près du contrôle des voitures pour se garer. Il demande alors à l’employé déjà courbé sous le capot d’une voiture quelles sont les démarches qu’il doit faire pour renouveler le permis. L’employé le regarde et lui demande son adresse exacte. Puis, le patron découvre avec étonnement que tout a changé : Désormais ce n’est plus ici qu’il doit renouveler le permis. Il doit juste payer les contraventions dans ce poste de police, puis se diriger vers un autre poste près des habitations du Sheraton ! (habitations construites derrière l’hôtel du Sheraton près de l’aéroport, hôtel qui a changé de nom dernièrement, mais les habitants continuent à appeler ces habitations « Habitations Sheraton » !  Première surprise donc ! Bon, apparemment ce n’est pas très difficile à trouver ce nouveau poste de police. L’employé lui explique plus au moins le chemin. Mais tout d’abord, le patron doit payer à l’ancien poste de police ses contraventions. Il se dirige alors vers le poste, un bâtiment de deux étages peint en rouge brique où plein de gens s’activent dans tous les sens. Le patron se prête alors à monter au premier étage lorsqu’il découvre avec grand étonnement un bureau en métal mis en plein air à l’entrée du poste et au dessus duquel une enseigne indique que les personnes à mobilité réduite pouvaient terminer les papiers. Ça c’est une vraie nouveauté pour l’Egypte. Au moins ça leur évitera de monter et descendre une dizaine de fois les deux étages du bâtiment à la recherche du bon employé et de la bonne signature, parce qu’il faut le dire, les signatures, pour renouveler un permis, n’en manquent pas ! Le patron monte alors au premier étage, découvre avec soulagement que la place du bureau pour payer les contraventions n’a pas changé. Il y entre : peu de personnes sont là. Il présente alors son permis et sa carte d’identité et l’employé lui dit de patienter sur une des chaises disponibles dans la salle. C’est l’attente la plus angoissante de la journée. Puisqu’on est en Egypte, on n’a aucune idée de la somme qu’on va payer pour les contraventions. Le patron avait entendu qu’il y avait actuellement un site sur lequel on pouvait taper son numéro d’immatriculation et savoir ainsi, aussi facilement, la somme due. Apparemment, on pouvait même payer par carte bleu directement grâce à ce site. Puis, non sans grand étonnement, il a su aussi que depuis quelques mois, ce site était tombé en panne (voir comment !) et que ce rêve avait donc, tout simplement, disparu ! Bref : Le patron avait pris donc avec lui ce matin la modeste somme de cinq milles livres parce qu’il n’avait pas envie de se trouver comme un con sans avoir l’argent suffisant pour payer les contraventions. Comme les agents de circulation s’amusent à remplir leur carnet de contravention sans justificatif pour les conducteurs, tous les conducteurs égyptiens s’attendent alors à la mauvaise nouvelle de l’année en apprenant les sommes à payer. Quoique le patron soit un conducteur modèle, qu’il ne brule jamais de feu rouge, qu’il ne se gare jamais en double file, qu’il mette toujours sa ceinture de sécurité, son inquiétude augmentait de plus en plus chaque fois qu’il entendait l’employé appeler tel ou tel conducteur pour demander des sommes qui dépassaient largement les milles livres ! Quelques conducteurs râlaient alors, demandaient de voir Monsieur l’officier responsable. Le patron les suivait de regard : ils se dirigeaient vers une petite porte, la poussaient, disparaissaient ensuite pour quelques minutes dans un bureau, pour en ressortir, un peu moins en colère et avec une somme inférieure à payer à la caisse. En effet, le patron se rappelle alors de l’histoire qu’un de ses tontons lui avait racontée : Le tonton avait eu une grosse somme à payer pour les contraventions et lorsqu’il avait manifesté son étonnement face à la somme qu’il devait verser, on lui avait dit qu’il pouvait voir Monsieur l’officier pour discuter avec lui. Il avait alors accepté et avait été amené dans un bureau où un officier était assis face à un grand registre. « Que voulez-vous monsieur ? »

-         Voilà, on me dit que je dois payer cette somme énorme pour les contraventions et je veux comprendre pourquoi !

-         Ok, on vous enlève cinq cent livres du total à payer ! Bonne journée.

-         Je ne comprends pas !

-         Qu’est ce que vous ne comprenez pas ?

-         Pourquoi je devais payer toute cette somme d’abord et pourquoi maintenant vous avez réduit cinq cent livres sans aucun justificatif ! Cette différence là, qui va la payer ? Vous m’en faites cadeau ?

-         Il n’y a rien à comprendre monsieur ! C’est comme ça ! Si vous n’êtes pas content, allez payer toute la somme que l’employé vous a indiquée. Je n’ai pas de temps à perdre !

Une joie mélangée de colère s’était emparée du tonton, qui, comme des milliers d’égyptiens, est sorti de ce bureau, perturbé par ce qu’il venait de vivre, essayant avec peine de comprendre ce qui était entrain de se passer, sans trouver pour autant la moindre réponse. A ces moments là, le vrai bonheur se réduit à  renouveler tout simplement son permis et à partir de cet endroit le plus vite possible.

Revenons à notre patron qui se rappelle de cette histoire chaque fois qu’il doit renouveler son permis. Le temps passe lentement, et une douleur d’angoisse le prend à l’estomac. Puis, enfin, l’employé l’appelle : le patron se précipite vers le guichet : seize livres de contravention ! Le patron n’en revient pas ! Tout fier de lui-même et de sa conduite exemplaire, il tend un billet de vingt livres à l’employé. Celui-ci lui dit qu’il n’a pas de petites monnaies pour lui donner les quatre livres qui lui restent. Le patron, comprends et lui dit que ce n’est pas grave, qu’il peut se garder la petite monnaie. L’employé, apparemment habitué à ce genre de manipulation, prend l’argent et demande au patron de patienter encore un peu pour qu’il ait le reçu. Le patron s’assoit de nouveau,  beaucoup plus soulagé et patiente. Il remarque alors qu’il était déjà trempé de sueur : L’angoisse apparemment ! Il cherche désespérément un ventilateur mais découvre que tous les ventilos dataient d’une trentaine d’années et qu’ils étaient tous orientés vers les employés. Pour le public, nada ! Il regarde alors mieux ces ventilateurs d’une autre époque. Une crasse noire les couvre, des fils pendent dans tous les sens. Des ventilos qui font beaucoup plus de bruit que d’air. Il commence à s’ennuyer le patron : Il entend enfin son nom. Il se dirige vers un autre employé qui lui donne le reçu. La première mission est terminée. Maintenant il peut aller à la recherche du nouveau poste de police pour continuer les démarches. Il doit faire vite avant que les rues soient bloquées par les embouteillages. Il se dirige alors vers ce nouveau poste, arrive à le trouver sans difficulté et arrive même à se garer facilement. Là, changement total de décor. Le bâtiment est fait avec beaucoup de gout : des murs couverts de briques en pierre, des bancs et des parasols en osier ornent un jardin couvert de pelouse. On se croirait dans un de ces nouveaux hôtels à Hurghada. Le patron entre alors dans le bâtiment pour se trouver dans un autre monde. Toutes les salles sont climatisées (un peu trop même), des employés souriants, un service rapide, des chaises modernes, des ventilateurs partout malgré la climatisation. Le patron termine vite les papiers et observe avec stupeur Monsieur l’officier, qui, cette fois-ci, ne se cache pas derrière son bureau, mais bien au contraire, qui se promène entre les gens pour voir s’ils ont besoin de quoi que ce soit, qui leur parle avec beaucoup de respect, qui règle tout de suite leur problème s’ils ont la moindre question. Mais tout n’est pas aussi rose. Lorsque le patron ressort pour faire contrôler sa voiture, il constate que le contrôle consiste uniquement à vérifier le numéro du moteur, un point c’est tout. Aucun contrôle sur le pot d’échappement, ni sur le moteur en marche, ni sur les clignotants, ni sur le klaxon. Rien de tout cela. L’employé avait même oublié de vérifier si l’extincteur du feu y était ou pas. Une fois au guichet, l’employé lui dit qu’il avait oublié de signer le papier pour l’extincteur. Le patron retourne voir l’employé du contrôle, qui, ouvre le coffre de la bagnole, recopie le numéro de l’extincteur sur le papier, sans aucune autre vérification, sous le regard amusé du patron qui se disait que seulement en Egypte, le contrôle des voitures était fait aussi scrupuleusement ! Bref, arrivé au dernier guichet, un autre employé lui lance la dernière surprise : « Mais, votre permis est daté du mois de novembre : vous ne pouvez le renouveler que au courant de ce mois de novembre ou durant le mois d’après. Jamais avant ! » Le patron n’en revenait plus. « Vous comprenez monsieur l’employé, je viens de retaper ma voiture, je veux en finir avec cet histoire du renouvellement avant qu’elle ne soit cabossée. Vous connaissez les rues du Caire et la circulation ! Il doit bien y avoir une solution. »

- C’est parce que vous êtes surtout un gentil monsieur qu’on va trouver une solution, lance alors l’employé au patron avec un petit air malin. » Le patron alors, glisse la main dans sa poche, sort un billet de cinquante livres et la glisse entre les papiers de son dossier bien rempli d’une dizaine de signatures. L’employé disparait pour quelques minutes puis revient, dit au patron que c’était réglé et demande au patron de patienter. Une demi-heure plus tard, un employé appelle le patron, ainsi que d’autres conducteurs. Ils sortent tous du bâtiment, se dirigent vers le parking des voitures. Le patron remarque qu’il porte avec lui les nouveau permis ainsi que les nouvelles plaques d’immatriculation. Une fois sur le parking, une meute de jeunes se précipitent sur l’employé, l’entourent en tendant la main, se poussant du coude, dégoulinants de sueur. L’employé leur cri dessus. Le patron observe cette scène surréaliste en se tenant un peu à l’écart. Il entend son nom. L’employé donne à un des ces jeunes, les nouvelles plaques d’immatriculation et le patron l’accompagne jusqu’à la voiture. Là, le patron peut enfin se dire que c’est presque fini. Il regarde avec beaucoup de pitié et de douleur ce jeune, poussiéreux, agenouillé par terre, en plein soleil, sous une chaleur écrasante, entrain de mettre les nouvelles plaques à la voiture. Dans un silence presque de prière, le jeune travaille vite. Les autres conducteurs sont aussi près de leur voiture à regarder d’autres jeunes faire la même besogne, tandis que, plus loin, un autre employé, distribue d’autres plaques à une autre meute de jeunes poussiéreux. Une tristesse monstre envahit alors le patron. L’écart social énorme dont souffre la société égyptienne le frappe de plein fouet. Certes, le patron a enfin son nouveau permis, glisse une dizaine de livres à ce jeune poussiéreux pour le remercier pour son travail. Le patron essaye de croiser son regard comme pour le remercier, mais, le jeune poussiéreux est déjà parti vite vers sa meute à la recherche d’une autre plaque. Le patron alors, s’installe enfin dans sa voiture, met sa climatisation pour chasser cette chaleur infernale après deux heures d’attente en plein soleil, et démarre.

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M
<br /> Wahaaahaaa ! Moi aussi ça me rappelle ma premiere extension de visas au mogama !<br /> Je déteste l'administration française, mais j'avoue que l'Egypte en tient une bonne couche aussi...<br /> <br /> Mais je ne retiendrai qu'une chose : au moins en Egypte, on peut toujours s'arranger ! Certains y verront un manque de cyvisme, personnelement j'y vois de la solidarité, de l'humanité, et de la<br /> simplicité...<br /> Si au moins ce genre d'arrangement était plus fréquent en France !<br /> <br /> Becos Nagui, continue de nous envoyer tes anecdotes !<br /> ++ Max<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Bravo, tu as réussi cette nouvelle épreuve! Merci pour tes articles grâce auxquels on apprend toujours plus sur l'Egypte. Je te lis avec intérêt.<br /> Bises, Céline (de Montreuil)<br /> <br /> <br />
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S
<br /> toujours aussi excellent à lire ;-)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Nagui, en plus d’être un merveilleux conteur, vous êtes un maître du suspense. Bravo pour ce parcours du combattant!<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Très intéressant de suivre ton périple administratif, mais quelle corruption partout...heureusement, pour toi tout finit bien ,et bravo pour ta conduite exemplaire (tu vois ça paie!!!)bon courage<br /> pour la reprise . gros bisous .<br /> <br /> <br />
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