Vers un monde meilleur ?
Le patron est retourné chez lui après quelques jours passés chez ses parents durant lesquels il s’est occupé de son père. Heureusement, les calmants ont commencé à faire leur effet et le père, quoique encore souffrant, souffre moins. Mais aujourd’hui aussi est un premier jour de tentative de retour à un rythme de vie un peu plus normal. Le couvre feu, levé à six heures du matin, les banques qui commencent à ouvrir, les gens (ceux qui ne manifestent pas) retournent au boulot.
Le patron a profité donc pour faire un petit tour en voiture pour voir à quel point la vie reprenait. Ce matin, les sms ont repris après une rupture qui a duré plus que dix jours. Les premiers sms qu’il a reçus étaient des blagues en arabe sur la situation actuelle : Des jeux de mots avec des titres de films classiques arabes et la situation actuelle. Le patron a eu un petit sourire, a admiré encore une fois cette âme égyptienne qui se moque de tout, surtout de son malheur. C’est là aussi la force de ce peuple dont il est fier d’en faire partie.
Pourtant, une idée le hante depuis quelques jours : Le voilà qu’il se rapproche de ses 45 ans, âge limite pour pouvoir accès à une immigration facile pour le Canada. Partir rejoindre son frère qui y vit depuis déjà une dizaine d’années. Il s’est toujours senti bien en Egypte, a réussi à créer son
monde, des amis chers, une réussite sociale et financière. Mais, maintenant, avec les évènements, la peur d’un avenir inconnu commence à l’habiter lui aussi. Il a beau lutter contre cette angoisse grandissante, se dit que les choses finiront par s’arranger, que ce n’est pas à cette âge là qu’il ira tout commencer à zéro dans un autre pays, qu’il aura sûrement le mal du pays, qu’il ne supportera pas le manque de soleil. Puis, il se dit que ce n’est quand même pas bête d’avoir juste une double nationalité pour pouvoir quitter le pays au cas où. Au cas où quoi ? Au cas où les frères musulmans prendraient le pouvoir ? Au cas des mesures plus draconiennes seraient prises dans son pays pour maintenir l’ordre ? Il ne veut pas sombrer dans la parano. Mais il ne veut pas non plus dire un jour : « J’aurais dû » ! Son père lui a toujours dit qu’il faut avoir confiance dans la vie. Le patron a toujours essayé de suivre l’exemple de son père et jusqu’à présent, la vie lui a prouvé que tout arrive bien à ceux qui savent attendre ! Une autre vie est-elle entrain de se dessiner en Egypte ? Un autre avenir pour ce pays qu’il aime tant ? Un avenir plus sûr ?
Le patron sort sur son balcon, prends une bouffé d’air frais, sent l’odeur de cette pluie fine qui s’abat sur le Caire depuis deux jours, regarde les habitants du quartier qui allument, cette nuit encore, un feu de bois, au milieu de la route, pour se réchauffer. De nouveau, ils montent la garde devant la maison.
La pensée du patron va alors plus loin, à une dizaine de kilomètres de son quartier, à la place Tahrir, là où des milliers des jeunes sont entrain de braver le froid et la pluie, en attendant un monde meilleur.