Deux malheurs

Publié le par nagui chehata

Comme un malheur n’arrive jamais seul, le patron est tiraillé depuis deux jours entre les nouvelles à la télé et la fragile santé de son père. En effet, depuis une dizaine de jours, le père du patron souffre de plus en plus de douleurs insupportables au dos. Il est sous calmant depuis plus qu’une semaine, calmants pourtant qui ne calme rien. Depuis aussi le début des évènements, le patron pouvait encore rester chez lui et allait presque chaque jour chez ses parents pour voir ce dont ils ont besoin pendant les heures où le couvre feu est levé. Mais, hier, la mère du patron lui téléphone tôt pour lui dire que son père allait très mal et qu’il demandait que le patron aille vite à la maison familiale. Le patron s’est vite alors précipité pour voir ce qui se passait. En effet, son père souffrait énormément. Il a trouvé chez lui un ami de son frère qui était venu aussi pour aider. Le patron a su qu’on devait trouver un médicament très important pour le père, un genre de calmant qu’on colle sur la peau. Le problème c’est que ce médicament n’est vendu qu’avec une ordonnance spéciale tamponnée avec le tampon officiel. Il fallait donc trouver un centre sanitaire qui serait ouvert et qui aurait le tampon demandé. Après quelques coups de téléphone le patron et son ami sont parti pour chercher cela, mais dans un Caire absolument paralysé et fermé. En route, le patron est passé près de plusieurs manifestations pro M. Tous scandaient le nom du Président et portaient le drapeau égyptiens et la photo de M.  Arrivés enfin devant le centre sanitaire, ils ont trouvé, sans grand étonnement d’ailleurs, la porte du centre fermée avec un cadenas. Le patron se rappelle alors enfin d’un autre centre qu’ils trouvent ouvert mais vide de chez vide. Juste un gardien sagement assis devant la porte qui écoutait les cris d’une manifestation pro qui passait non loin de là. Le patron alors demande s’il y avait quelqu’un qui pouvait tamponner l’ordonnance. Personne n’est là. Aucun médecin, aucun malade non plus. On dirait que le centre a été évacué. Miracle, le gardien dit qu’un médecin arrivera dans quelques instants, chose qui n’a pas tardé à arriver. On explique la situation au médecin, celui-ci alors leur explique qu’il pouvait tamponner mais que le formulaire d’ordonnance n’était pas le bon et qu’il fallait en chercher un au syndicat des médecins. Le patron et son ami se regarde, désespérés. Le syndicat des médecins est tout simplement dans la rue Kasr el Einy, au cœur des manifestations de la place Tahrir, donc inaccessible ni en voiture ni à pied. Le patron rebrousse chemin bredouille. Que faire ? L’ami du patron téléphone quand même à un ami médecin qui lui dit qu’il pouvait lui apporter deux boites de ce médicament mais qui étaient périmées depuis déjà 5 mois. Après consultations, la décision est faite. Même périmées, les deux boites pouvaient toujours servir, la plupart des pharmacies étant fermées ou demandant l’ordonnance introuvable. Une fois à la maison familiale, le patron trouve son père toujours souffrant et il finit par lui donner ce médicament. Quelques heures plus tard, ce calmant n’avait toujours pas donné le moindre effet.

Entre temps, le patron s’inquiétait pour ses amis qui sont toujours sur la place Tahrir. Il téléphone à l’une deux et apprend le choc : Le centre Hicham Moubarak (rien à voir avec le Président) pour les droits humains, où des dizaines d’activistes politiques travaillaient, y compris des avocats a été fermé et tous ceux qui s’y trouvaient ont été arrêtés et emmenés. (Tout en écrivant cette dernière phrase, par hasard, le patron vient de recevoir un appel d’un ami qui sortait de la manifestation et qui rentrait chez lui avec d’autres amis. Le patron alors a profité pour lui demander combien de personnes ont été arrêtés du Centre Hicham Moubarak : entre 8 et 12 personnes.) Pas de réponse claire donc. C’est surtout ça qui est très embêtant dans la situation actuelle. Toutes les informations ne sont jamais sûres à cent pour cent.

Le soir, nouvelle crise de douleur terrible du père du patron. Le patron n’avait jamais vu son père souffrir à ce point. Il a explosé en larmes et a dû fuir dans sa chambre pour essayer de rester fort devant sa mère. Pourquoi tous ces malheurs arrivaient-elles au même moment ? Puis, il se rappelle alors les tours malins que la vie lui a toujours faits : Lorsqu’il se trouvait face à un malheur, une autre douleur plus grande arrive et le pousse à surmonter ce premier malheur. Il est vrai que ce qui se passe dans son pays le préoccupe toujours, mais son esprit est aussi occupé par la santé de son père.

Ce matin, le patron a dû vite rentrer chez lui pour s’occuper de sa pension, changer la litière des chats, chercher son ordinateur portable, étendre le linge, acheter quelques fruits. En rentrant chez ses parents, il a décidé de prendre un autre chemin, pour voir un peu à quoi ressemble Héliopolis. Il est passé alors tout près du palais présidentiel, a découvert qu’il était extrêmement protéger : des chars armés, des barbelés, des routes bloquées. Longeant le tramway, le patron voyait un paysage d’une ville fantôme pour ce matin de vendredi 4 février : des rues barrées par des pierres, des troncs d’arbres que les milices utilisent la nuit pour continuer la protection du quartier malgré la présence des policiers. Le patron est incapable de dire si ces policiers sont aussi présents durant le couvre feu. La situation reste toute fois la même : quartiers protégés par les milices, vitrines de magasins peints en blanc pour cacher ce qui s’y trouve. Jamais le patron n’aurait cru qu’il verrait Le Caire ainsi. Il y a deux semaines, la vie était différente. Maintenant, tout est différent ! Jusqu’à quand ?

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Z
<br /> Bon courage mon ami, je suis de tout coeur avec ton peuple.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Courage fils d'Egypte, demain est un jour nouveau, nous pensons tous à toi! et du courage tu en as, pour continuer à écrire dans ces heures si sombres, tu fais parti en ces temps incertains de la<br /> mémoire vivante de ton pays, je ne te connais pas, je lis ton blog depuis fort longtemps car dans mon coeur je suis fille d'egypte.<br /> tu es un enfant d'hier sur la route de demain et ce n'est pas facile, fait confiance en la terre du Nil<br /> <br /> <br />
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L
<br /> ya Nagui, il y a plein de gens qui pensent à toi, que tu connais ou pas, ils te connaissent à travers ce que tu écris et te soutiennent.<br /> Tous espèrent que la joie reviendra à la pension et en Egypte<br /> <br /> <br />
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Â
<br /> Bonsoir Nagui<br /> <br /> Tu as le courage d'écrire ce que tu vis et ressent, je pense que tu es quelqu'un de positif et de très fort aussi: certainement facile pour moi de dire cela, bien assis dans le calme et ma<br /> sérénité, mais ne perd pas courage : il y a toujours de la lumière au bout du tunnel.<br /> Ton peuple est bien sensé,j'espère qu'il va trouver sa voix dans la sagesse comme il l'a souvent fait ...<br /> <br /> Mon amitié t'es acquise si tu la désires ...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Tu es fort, Nagui, tu vas surmonter tout çà, j'en suis certaine. L'amour de ta mère, la présence de tes amis (physique ou autre), la douceur de tes chats, tout ce que tu aimes personne ne pourra te<br /> l'enlever, c'est çà ta force. Yalla ! Ton père va aller mieux Inshaallah. Grosses bises.<br /> <br /> <br />
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