Ces quelques minutes

Publié le par nagui chehata

Le patron avait alors vingt ans. A cette époque, il se donnait à cœur joie dans les associations caritatives. Il voulait faire de sa vie quelque chose de grand, de beau. Il voulait surtout trouver sa vocation avant de sombrer dans la platitude de la vie. On le trouvait donc engagé dans beaucoup d’associations parmi lesquelles, l’association pour le développement de la haute Egypte qui organise chaque année une exposition pour les œuvres artistiques de qualité des femmes d’Akhmim, un village millénaire réputé dans la fabrication de tissu depuis l’époque pharaonique. Dans ce village, situé de l’autre coté du Nile face à la ville d’Assiout, l’association a lancé un atelier de broderie pour les femmes du village qui n’ont rien. Le projet a énormément réussi, les femmes du village ont retrouvé leurs talents ancestrales, et produisent jusqu’à nos jours des tableaux et des tissus d’une extrêmes beauté et finesse. Le jour de l’inauguration de cette exposition est attendu, chaque année, avec beaucoup d’enthousiasme par la haute société égyptienne et surtout par les étrangers résidants qui ont des sous, pour pouvoir s’acheter le tableau de leur rêve. Comme ces œuvres sont toutes faites main, les prix sont assez élevés et seule une personne fortunée peut se permettre d’acheter ses tableaux. Société égyptienne riche, donc francophone. Chaque année, le patron devait donc tenir un rayon pour la vente de tableaux et mettre ainsi à disposition ses talents en français. C’est dans ce cadre, un jour d’inauguration que la rencontre se passa. Le patron voit arriver une sœur toute vieille suivie d’une autre sœur. Elles le saluent et s’extasient face au tableau le plus simple et donc le moins cher du rayon. On présente la sœur au patron : Sœur Emmanuelle des chiffonniers du Caire. Le patron avait déjà entendu parler de cette sœur mais il n’avait pas encore eu l’occasion de la rencontrer en personne. Il se met à parler avec elle. Elle le regarde si intensément comme s’il n’y avait personne d’autre qui existait autour d’eux. Cette intensité du regard, le patron l’a gardée dans son cœur jusqu’à présent. Puis, il entend Sœur Emmanuelle dire à l’autre Sœur : « Ce petit tableau est une merveille : il est d’une simplicité incroyable. Je veux l’acheter pour encourager la petite qui l’a fait. Puis nos filles pourraient s’inspirer de cette simplicité pour apprendre à se lancer dans cet art. ». Elles ont payé et sont parties pour continuer leur visite, laissant le patron profondément bouleversé par cet amour simple mais profond que sœur Emmanuelle lui avait transmis. Depuis, le patron a toujours suivi les nouvelles de Sœur Emmanuelle, a lu beaucoup de livres qui parlaient d’elle. Cette semaine, le patron l’a beaucoup pleuré en apprenant la nouvelle de sa disparition. Ces quelques minutes passées avec elle, il s’en souviendra à jamais !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
je ne savais pas que tu l'avais rencontré! c'est vrai que c'était une sacrée femme!!! merci de lui rendre hommage!
Répondre
A
Moi je l'ai lus sur Yahoo France parce qu'il ne connaissent pas soeur Emmanuelle en Australie. Cela m'a fait beaucoup de mal de savoir que cette soeur apres une vie tellement pleine nous a laisser. Mais par contre je suis bien contente de savoir que le president de France etait a ses obseques
Répondre
B
Merci Nagui pour ce récit qui fait chaud au coeur. Avec la disparition de Soeur Emmanuelle, l'Egypte me poursuit, et je suis très (trop) souvent en pensée avec elle, sa chaleur, sa vie grouillante, dont j'ai une grande nostalgie. Bonne vie à toi qui continue à nous régaler de tes témoignages.
Répondre